Louis et Zélie Martin.... des catholiques sociaux ?
Les bienheureux Louis et Zélie Martin…
des catholiques sociaux ?
« Quand femmes et hommes construisent l’histoire » : ce thème des journées du patrimoine 2010 invite à poser notre regard sur une des facettes de la vie des parents de Sainte Thérèse, celui de l’engagement social.
« Mon mari ne peut se consoler ; il a laissé le plaisir de la pêche …et ne veut plus aller au Cercle Vital. » C’est ainsi que le 17 décembre 1876, Zélie Martin présente à Céline Guérin, sa belle-sœur, les conséquences sur Louis de l’annonce de l’aggravation de son cancer. (Correspondance Familiale 177)
Qu’est-ce donc que ce « Cercle Vital » qui occupe une telle place dans la vie de Louis Martin au point qu’il y renonce dans sa peine?
Un groupe que l’amitié réunit
Une amitié qui remonte à l’enfance pour plusieurs de ses membres, originaires du même quartier de Montsort à Alençon. Ainsi, Louis Martin retrouve dans ce cercle Modeste-Pierre Boul avec qui il a célébré sa première Communion le 25 mai 1834. Et c’est au fils de cet ami, Paul-Albert Boul, qu’il demandera en 1873, d’être le parrain de Thérèse.
Ami également, l’animateur du Cercle qui porte son nom : Vital Romet, pharmacien, que Louis choisira comme parrain de sa fille Céline, tandis que sa sœur, Pauline Romet, sera marraine de Pauline.
Ami, ô combien, l’abbé Hurel, curé de la paroisse de Montsort de 1827 à 1849 puis doyen de St Léonard jusqu’à sa mort en 1872. Autour de lui, se retrouve fidèlement le « cercle Vital » auprès de la chapelle de Notre-Dame de Lorette (sur le site actuel du 104 rue du Mans). Confesseur de Louis, il sera appelé par les bienheureux Martin à venir bénir leur mariage, le 13 juillet 1858 à l’église Notre-Dame.
Une amitié fidèle, enfin. Après la mort de sa femme, Louis ayant déménagé à Lisieux pour le bien de sa famille, ne manque pas de revenir régulièrement à Alençon retrouver ce cercle. Lorsqu’il est accompagné de ses filles, il descend chez Jacques Tifenne, autre membre du Cercle, ami et condisciple en pharmacie d’Isidore Guérin, à Paris. Léonie Tifenne, son épouse, était la marraine de Léonie Martin. N’ayant pas d’enfant, Madame Tifenne se montrait si généreuse et aimante envers ses neveux et filleuls qu’on la surnommait « tante bonbon ».
Un groupe qu’une même foi rassemble
Ces treize hommes sont divers par leur profession :
- artisans et commerçants : Modeste Boul, Augustin et Adrien Romet, Louis Martin
- enseignants : Arsène Rattier, Christophe et Ferdinand Desroziers
- fonctionnaires: Pierre Barré, Gustave Desroziers
- professions libérales : Vital Romet, Jacques Tifenne, Jules Barbet, Honoré Barbet.
Le marché d'Alençon
Divers aussi par leurs options politiques. Vital Romet, par exemple, est un catholique « républicain modéré ». Ce qui n’est pas courant avant que le Pape Léon XIII prêche le ralliement à la République (1890). D’autres, comme Louis Martin, rejoignent la majorité des catholiques français favorables au retour de la monarchie avec le comte de Chambord connu pour ses options sociales. Les lettres de Zélie Martin à ce sujet sont fort intéressantes. Elles montrent non seulement que la famille Martin ne se fait pas trop d’illusions sur ce retour des Bourbon mais aussi que, sans faire partie d’un Cercle, Zélie n’est pas indifférente à la politique et aux engagements de son mari (CF 107 et 109).
A propos de ces dîners chez Vital Romet dont elle parle de temps en temps, il est intéressant de savoir que, d’après la nièce de Vital, Myriam Thèlem, les débats y étaient très animés. Pour autant, Louis et Zélie demandèrent à cet ami républicain d’être le parrain de leur fille Céline.
Un groupe qui s’engage sur le terrain social
Vital Romet et Louis Martin avaient en commun d’être des catholiques sociaux et de s’engager à la suite d’Ozanam au service des plus pauvres.
C’est ainsi que plusieurs des membres du Cercle sont entrés à la conférence de St Vincent de Paul, fondée à Alençon en 1847. Et dans le Journal d’Alençon du 3 janvier 1858, nous avons la preuve que dès avant son mariage, Louis en fait partie. C’est là qu’il apprend à ne pas se contenter de verser aux plus pauvres des aumônes mais à prendre le temps de la rencontre avec eux pour connaître leurs vrais besoins et tenter avec eux les démarches administratives nécessaires. Intéressantes à cette égard les lettres de Zélie qui témoignent de ces démarches et montrent combien elle participe à l’œuvre de son mari et l’encourage (CF. 159 et 175)
De plus, après le lancement par Albert de Mun des Cercles catholiques ouvriers, Louis Martin contribue à la fondation d’un tel Cercle à Alençon. En 1876, il est le onzième souscripteur de cette œuvre. Pensés pour éviter le désoeuvrement des jeunes travailleurs et l’alcoolisme qui en résulte, ces cercles courront le risque d’être pris en main par une classe sociale très conservatrice. Le récit que Madame Martin fait à Pauline du conflit qui a opposé les « belles dames» qui avaient reçu une lettre d’invitation à une représentation donnée par le Cercle, aux dames « moins belles » qui n’avaient reçu qu’un carton, montre sa lucidité sur « le barrage qu’on avait eu soin de mettre entre les deux catégories ». Et elle conclut que « c’est dans le ciel seulement que les pauvres pourront être aux premières places. » (CF 198 – 29 avril 1877)
Caractéristiques enfin du souci de ces catholiques sociaux d’aider la classe ouvrière à s’organiser : les engagements de Vital Romet au service de la mutualité dont il est un des promoteurs à Alençon dès 1876.
Un groupe qui enracine ses engagements sociaux dans la prière
La vie Paroissiale de St Pierre de Montsort du 1er décembre 1913 garde souvenir de la manière dont certains membres du Cercle Vital, étant jeunes adultes, servaient au chœur remplissant ponctuellement les fonctions de cérémonial. Par la suite, ils restèrent fidèles à la pratique eucharistique tant dominicale que, pour certains, quotidienne.
A cette prière communautaire, s’ajoute l’Adoration nocturne lancée à Paris par Hermann Cohen, un des grands convertis de Notre-Dame des Victoires. De ce mouvement, Louis Martin fut un des principaux promoteurs tant à Alençon qu’à Lisieux ce qui lui valut de connaître la curieuse aventure racontée par Zélie, (CF 110) d’un début d’incendie du dortoir des adorateurs.
S’il est arrivé que l’on présente Louis Martin comme un doux rêveur, c’est faute d’avoir pris le temps d’étudier son implication dans les divers mouvements qui apparaissent en ce milieu du XIXème siècle et servent la mission sociale des chrétiens. Et il est intéressant de remarquer combien son épouse participe à ces divers engagements. Son implication dans « l’affaire des fausses religieuses » qui maltraitaient la petite Amandine en est une belle illustration (CF 129). L’un comme l’autre, sensibles aux réalités qui les entourent, révèlent cette cohérence entre l’éthique familiale et l’éthique sociale.
Abbé Thierry Hénault-Morel, curé-recteur